L’addiction au jeu vidéo fait polémique. Recette pour vendre des articles à sensations ou véritable problème de société ? Depuis que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a intégré dans son brouillon de la CIM-11 (ou IDC en anglais), le trouble du jeu vidéo, certains y voient une attaque envers leur passion, d’autres un frein à une meilleure réussite financière déniant tout problème avec le média, d’autres encore une confirmation de ce qu’ils savaient déjà.
Le but de cet écrit est d’éclaircir le vrai du faux en se basant sur des articles scientifiques, cliniques. L’objectif est de voir pourquoi actuellement une partie de la communauté scientifique se déchire à ce sujet, tente de se faire entendre sur un sujet véhiculant beaucoup de peurs sur une pratique porteuse de nombreux stéréotypes.
Un problème de définition ?
En janvier 2018 L’Organisation Mondiale de la Santé comportant 193 états membres sur 197 au total, inscrit dans sa Classification International des maladies (CIM ou ICD en anglais) le trouble du jeu vidéo (ou Gaming Disorder en anglais) qui se définit comme ceci :
La définition présentée ci-dessous est une traduction de la définition anglaise présente dans l’ICD.
« 6C51 Trouble du jeu vidéo
Le trouble du jeu est caractérisé par un comportement de jeu persistant ou récurrent (“jeu numérique” ou “jeu vidéo”), qui peut être en ligne (sur Internet) ou hors ligne, se manifestant par :
1) une altération du contrôle sur le jeu (par exemple, début, fréquence, intensité, durée, fin, contexte);
2) le fait de donner une importance accrue au jeu vidéo au point que le jeu vidéo prime sur les autres intérêts de la vie et les activités quotidiennes ; et
3) la poursuite ou l’escalade du jeu vidéo malgré l’occurrence de conséquences négatives.
Le comportement de jeu peut être continu ou épisodique et récurrent. Le comportement de jeu et d’autres caractéristiques sont généralement manifestes sur une période d’au moins 12 mois afin de permettre l’attribution d’un diagnostic, bien que la durée requise puisse être raccourcie si toutes les exigences en matière de diagnostic sont remplies et si les symptômes sont graves. »
Dans un article de l’OMS à visée vulgarisatrice quant au problème, la définition est présentée comme ceci :
« Définition du trouble du jeu vidéo
Le trouble du jeu vidéo est défini dans le projet de 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11) comme un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables.
Pour que ce trouble soit diagnostiqué en tant que tel, le comportement doit être d’une sévérité suffisante pour entraîner une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement, et en principe, se manifester clairement sur une période d’au moins 12 mois. »
De là, beaucoup de médias vont y voir la reconnaissance d’une « addiction » aux jeux vidéo, d’autres utiliseront le mot de « dépendance ». Toutefois, si ces deux termes semblent dans le langage courant limpide, cliniquement, il y a des différences dont certains journalistes ont utilisé sciemment l’ambivalence afin de faire du sensationnel.
Une addiction c’est quoi ? Une addiction concerne un état de dépendance à une substance psychoactive, c’est-à-dire à une substance ingérée agissant directement sur les neurotransmetteurs du cerveau et créant un état de dépendance. Avec l’addiction s’accompagne une symptomatologie du sevrage. Entendez que le patient ne prenant plus sa substance ressentira des symptômes tel qu’un désir puissant ou compulsif d’utiliser une substance psychoactive, une difficulté de contrôler l’utilisation de la substance, pourra se sentir mieux après l’ingestion de ladite substance, il pourra se sentir apathique, nauséeux, une température corporelle en augmentation…etc.
L’OMS à d’ailleurs dans la CIM-10 enlevé le terme « d’addiction » au profit de « syndrome de dépendance ».
Extrait de Prise en charge de l’abus de substance psychoactive du site de l’OMS :
« Le terme générique de « dépendance» se rapporte à des éléments aussi bien physiques que psychologiques. La notion de dépendance psychologique ou psychique fait référence à la consommation incontrôlée d’alcool ou de substances psychoactives, tandis que la dépendance physiologique ou physique concerne la tolérance et les symptômes de sevrage. Dans le cadre des discussions orientées vers la biologie, le terme de dépendance se rapporte souvent exclusivement à la dépendance physique. »
Dans un article de blog Yann Leroux psychologue clinicien et psychanalyste, développe cinq des symptômes du sevrage présents dans la CIM-10 (10ième révision de la Classification International des Maladies). Il précise que 3 des manifestations décrites doivent obligatoirement être présentes au cours de l’année, la CIM-10 décrit la chose comme ceci :
« Ensemble de symptômes qui se regroupent de diverses manières et dont la gravité est variable ; ils surviennent lors d’un sevrage complet ou partiel d’une substance psychoactive consommée de façon répétée et habituellement prolongée ou massive. L’installation et l’évolution du syndrome de sevrage sont limitées dans le temps et dépendent de la nature et de la dose de la substance consommée immédiatement avant l’arrêt ou la réduction de la consommation. Le syndrome de sevrage peut se compliquer de convulsions. »
En bref, le terme d’addiction (ou de syndrome de dépendance selon l’OMS) ne concerne que les substances psychoactives telles que le tabac, l’alcool, le cannabis, la cocaïne…etc. Ces substance entrainent :
- Des modifications de comportement, des humeurs, des perceptions et de l’activité mentale des utilisateurs. En consommer entraine forcément des risques et des dangers pour la santé des usagers. En plus de créer une dépendance, ils peuvent avoir des conséquences néfastes dans la vie quotidienne du consommateur.
- Entrainant des effets somatiques sur le corps. Ces derniers sont différents en fonction des personnes.
Nous allons y venir tout à l’heure mais le jeu vidéo n’est pas reconnu comme une substance psychoactive en considérant les effets préalablement cités.
Pour en venir au terme de dépendance, si nous en croyons les vidéastes d’Un Drop Dans La Mare (Ces jeux qui nous espionnent / L’OMS n’a jamais dit Addiction.) celui-ci semble avoir été favorisé par la presse canadienne. La dépendance désigne plus un comportement d’assujettissement à quelque chose et non forcément une addiction. Si elle peut aller de pair avec l’addiction (ou syndrome de dépendance), par exemple un alcoolique est dépendant à l’alcool, elle peut aussi désigner tout comportement de soumission plus ou moins nécessaire dont voici un exemple : les diabétiques sont dépendant de leur insuline mais n’en sont en aucun cas addicts. La nuance entre les termes d’addiction et de dépendance est primordiale ainsi que leur définition respective, car dans le traitement de notre problématique qu’est le trouble du jeu vidéo ou propagé comme addiction aux jeux vidéo, le mot addiction est utilisé à tort et à travers sans véritable travail derrière.
Notons aussi autre chose, l’addiction, le mot, n’est pas utilisé dans la définition de notre trouble du jeu vidéo. Alors d’où vient-il ? Si nous pouvons blâmer l’envie de sensationnel journalistique alors que la santé de nombreuses personnes est en jeu et les défenseurs du jeu vidéo comme percevant une attaque sur leur loisir voyant dans le terme d’addiction (ou alors se basant tout simplement sur les premiers, c’est-à-dire les journaux le colportant), voyons dans quelle classe se range le trouble du jeu vidéo. Celui-ci est répertorié dans les troubles mentaux et du comportement, c’est peut-être pour cela que le mot « addiction » a fait son bonhomme de chemin quand bien même il n’est pas présent. Toutefois, le trouble est classé dans cette catégorie au même titre que le jeu d’argent
L’OMS contre les psys
Ce problème mis à part, celui de la propagation comme une trainée de poudre du mot addiction, une partie de la profession des psychologues et psychiatres semble s’élever contre l’OMS. Pourquoi ?
L’ajout du trouble du jeu vidéo fait suite à l’American Psychatric Association (APA) dans son manuel des troubles mentaux, le DSM, faisant référence mondialement. Dans ce manuel y figure « l’Internet Game Disorder » qui n’est pas considéré comme un diagnostic officiel mais plus comme une catégorie nécessitant plus de recherches.
Le DSM propose 9 critères pour permettre aux cliniciens d’identifier d’éventuels trouble du jeu vidéo comme la perte d’intérêt pour de précédent passe-temps ou des plus sérieux comme l’accoutumance ou des symptômes de retrait (anxiété et tristesse quand le jeu s’arrête). Cinq des critères développés dans le manuel doivent être présent sur une période de 12 mois et l’objectif est d’intensifier la recherche.
Beaucoup de chercheurs y ont vu une confirmation de l’existence du trouble du jeu vidéo ou d’une addiction à ce média et l’ensemble de la recherche c’est comporté en cryptozoologistes utilisant, entre les différents corps de recherches, différentes échelles servant pour d’autres pathologies afin de trouver et de valider ce nouveau trouble.
Certaines études mentionnent le chiffre de plus 30% de joueurs concernés par l’addiction aux jeux vidéo, d’autres une prévalence de 10%. Selon le psychologue américain Christopher Ferguson, ces chiffres anormalement hauts sont dû à l’utilisation de marqueurs liés à l’addiction aux drogues, donc ne concernant en aucun cas le jeu vidéo. De plus, personne n’était capable d’expliquer les résultats des autres équipes. Chose problématique quand on sait que la recherche scientifique demande de la rigueur.
Bien avant cette course effrénée au nouveau monstre, Yann Leroux dans son livre Les Jeux Vidéo ça Rend Pas Idiot ! publié en 2012, rendait compte qu’après plus de dix ans de recherches sur ce sujet aucune méta-synthèse n’avait été possible à cause d’un terrible manque de sérieux de la recherche. Des échelles non valides ou mal utilisées, tous les jeux vidéo dans le même panier alors que Skyrim ou Minecraft, pour ne citer qu’eux, nécessitent des compétences différentes ; aucune différenciation entre sujets adultes, adolescents ou enfants, ni au niveau des zones géographique où le jeu se fait, se pratique différemment. Chacun avait sa propre grille de lecture.
Cela n’a pas empêché qu’un an après l’APA, en 2016, des chercheurs du monde entier se réunissent à Hong Kong pour retravailler la CIM lors d’une conférence de trois jours sur les trouble de l’utilisation d’internet. L’APA voulait explorer les usages déviants des nouvelles technologies comme l’utilisation abusive d’internet, du smartphone et du jeu vidéo. Ce n’est que ce dernier qui fut retenu comme addictogène.
Courant 2016 la chose est rendue public et les preuves sont jugées suffisantes à l’unanimité, soulevant une vague de protestation de la part des chercheurs, psychologues et spécialistes.
Un article parut le 18 septembre 2017 sur pubmed (Treatments for Internet gaming disorder and Internet addiction: A systematic review), pointe du doigt encore une fois le manque de consistance des études menés à ce jour et donc invalidant les affirmations de nombreux dires.
La définition de l’OMS souffre, pour beaucoup de spécialistes, d’une largeur conséquente. La « maladie » dispose d’une définition qui semble similaire à n’importe quelle addiction comportementale.
La particularité d’une addiction comportementale est que l’objet addictif est un objet commun sans toxicité apparente (donc ce n’est pas le tabac, l’alcool ou autre drogue) ou une activité qui concerne la majorité d’entre nous. Elle peut être le travail, le sport, l’achat compulsif…etc. Un comportement devient pathologique, problématique, lorsque des conséquence néfastes l’emportent sur le plaisir obtenu. Malgré cela, le sujet continu selon Isabelle Verascon directrice du laboratoire psychopathologique et processus de santé dans son article Les Addictions Comportementales. Dans ce même article, en se basant sur Fenichel, l’autrice explique que les addictions comportementales sont comme des tentatives infructueuses de maitriser la culpabilité, la dépression ou l’angoisse, par l’activité. Les addictions comportementales se caractérisent donc d’avantage par leurs actions (faire du sport, jouer, travailler…etc.) et le recours à un médiateur n’ayant pas de propriétés psychoactives.
Par rapport aux addictions aux substances psychoactives, les addictions comportementales ont en commun : la répétition de la conduite, le manque, le plaisir, le soulagement, la centration, une souffrance et des tentatives d’arrêts infructueuses (cette dernière, d’ailleurs ne concerne pas le jeu vidéo excessif).
Toujours selon Verascon, il n’y a pas de réponses catégoriques quant à considérer les addictes comportementaux en tant que malades, tout dépend de ce que l’on entend par maladie. Si cela renvoie aux troubles répertoriés dans les manuels, oui. Certaines de ces addictions comportementales sont considérées comme des maladies selon le DSM-IV (la quatrième révision du manuel de l’APA) comme le jeu pathologique (jeu d’argent), l’anorexie ou la boulimie. Si cela renvoie à une notion de traitement pharmacologique, on ne peut concevoir les addictions comportementales comme des maladies. Mais comme le souligne la spécialiste, la définition des addictions comportementales est floue et rend par cela difficile le diagnostic, elle ne fait pas entièrement consensus mais précise néanmoins que la personne est assujettie à l’expérience non à des effets psychoactifs :
« La personne devient assujettie à l’expérience et non aux effets psychoactifs d’une substance qu’elle a vécue. C’est fondamentalement ce qui se passe dans les addictions comportementales : il n’y a pas d’utilisation de substances chimiques susceptibles de provoquer des effets psychoactifs, mais uniquement une expérience répétée par un comportement. Quant à savoir si cette notion est maintenant bien reçue par les psychologues et les psychiatres, il appartient à chacun d’y trouver ou non un apport conceptuel. Dans les années 1990, le terme d’addiction a été critiqué alors qu’aujourd’hui il est massivement utilisé… Que les contours et les fondements de cette notion soient interrogés, discutés, c’est plutôt rassurant. Mais, indéniablement, elle reflète des réalités cliniques. »
Extrait d’un entretien avec Isabelle Verascon :
Qu’est-ce qu’une addiction comportementale ?
– sur scienceshumaine.com –
Il faut aussi souligner qu’il ne faut pas pathologiser tous les comportements humains ayant attrait au plaisir, la dépendance n’est pas toujours pathologique, elle le devient lorsqu’elle est néfaste pour l’individu.
Ainsi la large définition de l’OMS semble décrire plus un trouble du comportement que l’ont pourrait lier à une addiction comportementale et non une simple addiction comme cela a pus être colporté. Les spécialistes préfèrent aussi l’appellation de « jeu excessif » plutôt « trouble du jeu vidéo » car un trouble provoqué par le jeu vidéo reste encore à prouver, nous allons le voir.
Le trouble du jeu vidéo ou jeu excessif a aussi du mal a rentrer dans la case pure des simples addictions comportementales de par le fait que les addictions comportementales semblent compliquer à définir et la limite se pose là où des effets néfastes au sujet se font ressentir.
Autre chose encore, le trouble du jeu vidéo est classé dans la même catégorie que le trouble du comportement lié au jeu d’argent alors que jeu vidéo et jeu d’argent sont somme toute différents par leurs pratiques et applications et que, généralement, le sujet addict aux jeux d’argent dispose ou a disposé d’addictions préalables comme l’alcool. Ceci reste encore à prouver pour le jeu vidéo où les études montrent une forte carence dans l’étude d’individus adultes.
Deux cas cliniques
Nous l’avons vu la définition de l’organisation mondiale de santé à propos du trouble du jeu vidéo et de sa reconnaissance fait débat. Pour Serge Tisseron psychiatre et psychanalyste membre de l’Académie des Technologies cette classification servira surtout les laboratoires pharmaceutiques qui pourront prescrire d’éventuels médicaments, tandis que Yann Leroux pointe du doigt une définition « problématique » pour d’un coté ce qui a déjà été soulevé ici mais aussi du point de vue de la recherche.
Au niveau de celles-ci, des enquêtes de terrain, le centre Smith and Jones à Amsterdam a fermé sa consultation pour les addicts aux jeux vidéo au bout de 6 mois en 2008. La raison est qu’ils n’ont pas trouvé auprès des joueurs des difficultés relevant de l’addiction, la constatation est que c’est l’environnement familial qui était généralement problématique (source : Yann Leroux, Les jeux vidéo ça rend pas idiot !, 2012).
Précisons avec des cas cliniques décris dans Usage problématique des jeux vidéo : deux cas cliniques, par Céline Bonnaire et Elizabeth Rossé.
Les cas présentés ici, sont résumés à travers de grandes lignes, bien entendu j’invite le lecteur à aller vers l’écrit de Céline Bonnaire et Elizabeth Rossé pour plus de détails.
Le premier sujet est appelé Armand. Il est en situation d’attente que le jeu vidéo permet de prolonger. Il est entouré de malades : sa mère l’est gravement tout comme son père qu’il ne voit que rarement. Armand ne dispose pas de vie sociale et affective satisfaisante et retarde son entrée dans le monde des adultes à l’âge pourtant avancé de 24 ans. Le jeune adulte est en proie au doute par la séparation de ses parents et le monde du travail qu’il dit bouché malgré sa formation de graphiste. Il est graphiste freelance, cette position le met régulièrement dans de longues périodes d’attentes que l’on peut aisément comprendre comme anxiogène. Il a répondu à de nombreuses annonces (il évoque un chiffre conséquent) sans succès, Armand c’est par la suite découragé. Le patient est de plus atteint de diabète et vit chez sa grand-mère qui habite « un lieu compliqué en voiture » dans une famille ayant des soucis financiers.
Si dans la vie « réelle » Armand n’a que peu de liens affectifs et un environnement oppressant, c’est tout l’inverse de la vie en ligne où il a co-fondé une guilde dont il est aux petits soins.
Conscient du problème (de passer son temps devant les jeux vidéo), c’est le patient qui a fait la démarche de consulter un spécialiste. Armand est conscient que son temps passé sur les jeux vidéo ne le menait, dans la finalité, à rien.
Dans la vie de ce patient, le jeu vidéo fonctionne comme un anti-dépresseur offrant une échappatoire et lui permettant de se renarcissiser. C’est accessible sans bouger de chez soi et les récompenses sont immédiates. Cela lui permet d’atténuer les différents affects négatifs mais il s’est rendu compte que la solution devenait stérilisante. Ici, le jeu vidéo plus précisément World Of Warcraft, lui permet d’oublier ses inscriptions et difficultés d’ordres sociales.
Avec le cas d’Armand nous pouvons voir l’une des utilisations du jeu que nous qualifieront de « jeu excessif » (terme que les spécialistes favorisent, notamment l’Académie des Sciences). C’est une sorte de béquille, d’anti-dépresseur face à un environnement pouvant s’avérer moralement nocif, difficile.
Le deuxième cas décrit par nos deux autrices est celui que nous appellerons Daniel. Il pose un problème de diagnostique psychopathologie par sa difficulté à vivre des affects. La spécialiste de son cas pose l’éventualité de troubles graves de la personnalité ou un syndrome d’Asperger notamment par sa difficulté à se mettre à la place des autres.
Avec Daniel c’est la mère qui a fait la demande. Il a 17 ans et joue 10 à 13 heures par jours à des jeux comme Aion et League Of Legends (tous deux sont des jeux multi-joueurs en ligne). Le patient est déscolarisé depuis trois ans, ne sort presque pas de sa chambre et ne se lave presque plus.
Les difficultés ont commencé pour lui à 12 ans avec un ami lui montrant World Of Warcraft qui devient petit à petit son centre d’intérêt principal. Il ne va plus en cours. Daniel à été inscrit dans un internat mais les choses n’ont fait qu’empirer. Ses différents suivis avec des spécialistes se sont mal passés. C’est péniblement qu’il passe sa 3ième et est hospitalisé pour se faire éloigner du PC ainsi que pour des problèmes d’incuries. Il restera en hospitalisation un mois.
Son histoire familiale est tout aussi compliquée avec une mère ne voyant plus le père et n’ayant d’autre homme que lui dans la maison. Elle projetterait sur son fils un puissant idéal. La mère est très en colère contre son fils et pense souvent à un passage à l’acte violent.
Pour Daniel, le PC n’a jamais été responsable, il n’a jamais aimé l’école et ne joue que 3 ou 4 heures à League Of Legends avant de trouver les parties aliénantes. Le reste du temps, il tchat sur internet, regarde des films et des séries. Il a conscience que cela ne mènera à rien, il se sent en décalage avec les autres, à du mal à se faire des amis de son âge et se sent encore plus en décalage avec les filles.
Daniel est très intelligent mais dépourvu d’intelligence relationnelle et émotionnelle, il est incapable de reconnaitre ses émotions ainsi que celles des autres. Il dispose d’un fonctionnement très rigide ne laissant que peu de place aux plaisirs et interdits. Toute manifestation émotionnelle ou démonstration affective est jugée « débile ».
Selon la spécialiste, le patient est pris dans une incapacité et un soi grandiose. La spécialiste ne détecte pas de psychopathologie massive mais il a toutefois un trouble de l’insertion majeur dû à une personnalité pathologique. Daniel dispose d’éléments de nature névrotique (obsessionnel et phobique) et de nature psychotique (perturbation importante des interactions sociales et identification projective comme défense). La spécialiste reste réservée quant à son pronostique.
La mère se trouve dans une hyper intellectualisation, très désaffectée et défendue quant aux affects, elle ne montre que peu d’émotions. Mère et fils avaient une relation très fusionnelle où un tier n’avaient pas sa place, car vu comme menaçant et brisant l’harmonie du couple. Symboliquement, Daniel a été à toutes les places : fils, homme de la maison et conjoint, créant une difficulté dans le processus de séparation d’individuation (très grossièrement Daniel a eu des difficultés à être « lui-même »). La mère se trouve dans des dispositions narcissiques dans la maitrise objectale de son enfant, ce qui a probablement dû écraser Daniel face aux projections idéales de plus en plus puissantes de sa mère face à ses compétences avérées et supposées.
Le jeu vidéo dans le cas du patient étudié, prend la forme d’enjeux narcissiques en lien avec l’idéal du Moi. Il devient un objet à l’abri du regard qu’il peut contrôler dans sa toute-puissance. N’ayant pas réussi dans les activités faisant la fierté de sa mère (école et autre), il s’évertue à être le meilleur dans les jeux vidéo où il retrouve aussi de cette fierté perdue. Il préfère d’ailleurs les jeux de stratégie tels que Leagues Of Legends car la compétition est au premier plan. Sa préférence va aussi du coté des guildes (équipes) agressives et plus il a été en conflit avec sa mère, plus il s’est renfermé.
Pour Daniel le jeu vidéo constitue une fuite de la réalité environnementale physique et corporelle. Il lui évite très surement un effondrement narcissique.
Avec nos deux cas cliniques quelque chose est mis en exergue, le jeu vidéo constitue une sorte de béquille face à un environnement compliqué ou un moral défaillant. Cela principalement pour Armand car il faut ajouter à Daniel des troubles psychologiques demandant des soins particuliers. Ce phénomène de « béquille » semble se confirmer dans une étude publiée sur Science Direct du nom de L’utilisation addictive des jeux vidéo est-elle une solution adaptative à la perception de soi et à la symptomatologie dépressive des jeunes adolescents (11–14 ans) ?
Dans cette étude réalisée sur 74 adolescents, permettant d’affiner la compréhension du processus addictif, est mis en lumière que l’avatar (le personnage contrôlé par le joueur) permettrait une « reconstruction de soi » réhaussant la perception que le sujet à de lui-même dans le monde virtuel et réduisant ainsi sa souffrance. La contrepartie est qu’un écart se crée avec l’environnement quotidien, renforçant la symptomatologie dépressive et ainsi, la conduite addictive.
L’étude n’oublie pas de souligner que des questions émergent concernant le lien entre le joueur et son avatar ainsi que l’impact des différents formats de jeux vidéo sur ce processus (jeu service ? Marché de l’attention ? Jeu d’action ? D’infiltration ?).
Cette étude montre bien une chose importante, c’est que le processus addictif s’accompagnerait d’une souffrance dont il serait la cause et la conséquence et lequel la défaillance de l’image de soi serait l’axe central. Le processus addictif serait envisagé comme la conséquence d’une souffrance sous-jacente. L’avatar permettrait une reconstruction de soi qui répondrait aux besoins et aux exigences du sujet, l’amenant à répéter son comportement et l’inscrivant sans une boucle addictive. Pour répondre à une souffrance identitaire, l’adolescent mettrait en scène une version améliorée de soi, renforçant la dépréciation de soi dans la réalité.
Le jeu excessif répond donc à une souffrance, il devient la solution à celle-ci mais agit comme un cercle vicieux, enfermant, valorisant et dépréciant en même temps le soi.
Pour les défenseurs de l’OMS le problème est tout de même présent et le reconnaître est nécessaire à la prise en charge d’un traitement adéquat.
La sonnette d’alarme
Il faut aussi évoquer l’article de Serge Tisseron psychiatre et docteur en psychologie appelé Le Piège de L’Addiction aux Jeux Vidéo et revenir brièvement sur la définition.
Le psychiatre dit que si le syndrome de sevrage physiologique et le risque majeure de rechute sont des éléments déterminants dans l’addiction, alors le jeu vidéo n’en fait pas partie (des addictions). Le spécialiste précise ensuite qu’il n’y a aucun lien entre le fait de jouer beaucoup à l’adolescence et à l’âge adulte et que si l’on considère que l’élément déterminant consiste en la difficulté de certains joueurs à limiter leur consommation ainsi que dans la priorité donnée aux jeux sur d’autres activités, il est acceptable de ranger certains joueurs dans la catégorie des malades souffrant d’addiction.
Pour Serge Tisseron, si la seconde a prévalu sur la première pour l’OMS ce serait parce que les laboratoires pharmaceutiques pensent avoir mis au point des molécules ciblant spécialement les dépressions adolescentes et les comportements compulsifs. Mais encore, nous « soignons » une béquille ? Tisseron est alarmiste quant à un rouleau compresseur pharmaceutique qui pourrait s’avérer néfaste pour la vie du patient.
Ce dernier explique qu’il y a une distinction importante entre une activité jugée addictive c’est-à-dire susceptible de provoquer une addiction et une activité susceptible d’être développée sur un modèle addictif mais sans que l’activité elle-même soit addictogène. Des personne qui ont perdu le contrôle de leurs impulsions (trouble mental ou substance toxique) peuvent développer diverses addictions à des produits ou des objets réputés non addictogène (addiction comportementale). Les parents ne doivent pas s’inquiéter que leur enfant qui joue beaucoup et pas forcément trop, développe une addiction.
L’article pose aussi le problème de la différentiation entre enfants et adultes. Vont-ils être traités de la même façon ? Il souligne que les adolescents, jusqu’à 16-17 ans ont du mal à gérer leurs impulsions et consommations, c’est à 25 ans que cela va mieux. Jusqu’à présent les psychiatres étaient invités à répondre aux parents d’exercer leur autorité parentale. Cela fonctionnait bien.
Depuis que le jeu vidéo existe il y a des joueurs excessifs mais pas d’épidémie de joueurs pathologiques. Les thérapeutes qui proposent de guérir l’adolescent sur deux ou trois ans sont presque sûr de gagner à tous les coups car la population de joueur excessif adultes est extrêmement faible, comme si cette pratique se révélait n’être qu’une phase.
Soulignons que des esprits dubitatifs peuvent dire que pour l’alcoolisme la problématique de fuite opérée par les joueurs est la même. Mais il ne suffit pas d’un petit élément de ressemblance pour faire une addiction pure et simple. A savoir, qu’une fois une bonne situation affective, professionnel ou autre, le joueur excessif va s’arrêter ou réduire de manière considérable sa pratique comme le souligne Tisseron. Mais l’alcoolique, lui, continu.
Finissons avec l’alarme lancé par Serge Tisseron : Les laboratoires pharmaceutiques pourraient proposer leurs solutions miracles et qu’une réponse simple, médicamenteuse n’arrangerait pas les choses. Dans cinq and nous risquons d’assister à de véritables scandales médicaux…
Un autre problème faisant s’offusquer la profession : la pathologisation générale d’une pratique. L’entrée du trouble du jeu vidéo dans la CIM fait courir le risque d’une pathologisation générale d’une pratique et engendre une panique morale (la panique morale désigne une réaction disproportionnée face à des pratiques personnelles ou culturelles jugées déviantes. Sa traduction peut se voir par exemple à la télévision où des soi-disant spécialistes parlent de problèmes qui n’en sont pas et n’apportent ainsi aucune solution ou des mauvaises comme ils ne connaissent pas le sujet).
Christopher Ferguson dénonce le manque de consensus quant à la douzaine de questionnaires différents utilisés venant chacun avoir des résultats divergents et donc contribuant au manque de sérieux de la recherche.
Trois éléments ont contribué à remettre en question :
– l’interprétation différente des 9 critères de l’APA qui ont fait que des outils dévaluations entre les groupes ont variés ;
– la proposition de l’APA a verrouillée toute une partie de la recherche dans une approche confirmatoire ?
– et les critères de l’APA sont inspirés de l’addiction aux substances psychoactives et comme nous l’avons vu ici, nous ne parlons pas de telles substances.
La CIM (Classification International des Maladies, par l’OMS) ne recycle pas les éléments les plus controversés de l’addiction comme la tolérance ou le manque, elle se concentre sur l’impact fonctionnel et insiste sur le besoin de constater les symptômes mentionnés sans exceptions avant d’en tirer des conclusions. Cependant Ferguson insiste lui sur le fait que la définition soit large et évasive. Le spécialiste pose la question de qui va décider du degré de nocivité du temps passé et de quel degré nous parlons ? Les critères se teintes de subjectivité et viennent s’opposer à la rigueur de la démarche scientifique.
A la défense de l’OMS Joel Billeux indique qu’il y a un nombre grandissant de demandes de prise en charges par rapport aux jeux vidéo. Toutefois, c’est une remarque plus personnelle, le jeu vidéo se démocratisant de plus en plus, le média touche ainsi de plus en plus de monde mais n’y a-t-il pas aussi dans les demandes de prises en charges des faux positifs comme s’inquiète Christopher Ferguson ? Pour Billeux, l’OMS répond à la demande de la patientèle. Il insiste sur le besoin de ce diagnostic pour légitimer la position actuelle.
Ferguson indique qu’il n’y a pas de traitement standardisé pour guérir du trouble du jeu vidéo et les preuves manquent pour accréditer la thèse d’un traitement seulement orienté sur le l’addiction au jeu vidéo et qui puisse améliorer la vie du patient sur le long terme.
Une inquiétude vient dés lors, celle de l’inversion hiérarchique clinique : traiter sans savoir. D’autant plus que le jeu vidéo excessif ne peut-être qu’une phase d’une simple pratique ou d’un état dépressif passager s’accompagnant d’un jeu excessif. Les pratiques de jeux vidéo intenses se résolvent d’elles-mêmes, lors d’une nouvelle étape dans la vie d’un individu d’où la faible population de joueurs excessifs adultes.
C’est aux parents qu’il incombe de réguler le temps de jeu et pourquoi pas, dans un élan de compréhension envers un objet incompris, mettre le jeu vidéo dans la vie de la famille.
Dans un article sur l’addiction aux jeux vidéo du site Gamekult appelé Ce qui va changer pour l’addiction au jeu vidéo, le journaliste décrit un échange privé avec un tier en charge de la controversée révision de la CIM-11 :
« Tout ne dépend pas de moi, et nous avons subi d’énormes pressions, en particulier de la part des pays asiatiques, pour inclure [le trouble du jeu vidéo] ».
Notons par ailleurs que les trois conférences de travail préalables à l’inclusion du « gaming disorder » dans la CIM-11 se sont déroulées en Asie (Tokyo, Hong-Kong, Seoul) sous l’œil de représentants des ministères de la santé des pays les plus touchés par la question du jeu excessif. L’OMS se défend cependant d’avoir reçu de quelconque pressions.
D’autres pays ont tenté de répondre à la panique morale engendrée par du jeu excessif. En Corée du sud ont été organisés des coupures de jeux en ligne pour les mineurs, cela sans aucun succès. En Chine, des camps contre l’addiction au jeu vidéo prolifèrent, flirtant bien souvent avec la maltraitance avec des cas de décès confirmés.
Une dernière chose encore, pourquoi la théorie du rasoir d’Ockman n’a-t-elle pas été appliquée ? Selon ce principe, il n’est pas nécessaire de formuler de nouvelles hypothèses tant que d’autres suffisent. Ainsi dans notre cas il n’est pas nécessaire de formuler de nouvelles pathologies tant que les hypothèses découlant des autres pathologies suffisent comme le stipule Yann Leroux dans Les jeux vidéo ça rend pas idiot ! :
– Jouer de manière obsessionnelle (la compulsion)
– Jouer pour éviter de penser (dépression)
– Jouer pour restaurer un idéal (narcissisme)
– Jouer pour s’éprouver vivant (jouer de manière psychotique)
Ne fermons pas les yeux
Dans cet article, il ne s’agit pas de fermer les yeux, bien au contraire. Il y a des joueurs ayant un problème avec leur pratique du jeu vidéo dont ils abusent. Fermer les yeux sur cela c’est refuser à des joueurs de devenir des patients s’ils en ressentent le besoin et les aider dans leurs souffrances amenant à cette pratique excessive. Cette pratique cache un mal-être psychologique et social qu’il ne faut en aucun cas généraliser à tous les joueurs s’adonnant à leur passion. L’existence de ce problème nécessite des études, de l’attention et de la raison.
Pour ma part, travaillant au contact d’enfants dans un collège, certains élèves sont en décrochage scolaire, dont leur pratique intensive du jeu vidéo en est pour quelques-uns, la cause la plus visible. Cela ne veut pas dire qu’elle est la cause car souvent, en dessous, se cache un problème bien plus important. Mais encore ne visons pas la béquille et prêtons attention à cet environnement et surtout : écoutons-les.
La problématique du jeu vidéo excessif n’est à mon sens que la partie émergée de l’iceberg, l’autre partie concerne la façon bien plus large de notre consommation des écrans et d’internet. Le temps de connexion à internet c’est d’ailleurs vu être un critère pathologique à un moment, puis c’est vu retirer de ces critères lorsque la connexion est devenue permanente à l’arrivée des smartphones comme l’exprime encore une fois Yann Leroux dans son ouvrage.
En 1998 le clinicien Griffith soulignait la nature addictive des jeux vidéo en raison des récompenses psychologiques qu’ils offrent aux joueurs. Les différents feedbacks, les sons, visuels, l’aversion à la perte, le jeu sur la frustration entre autres mécaniques pour garder le joueur devant l’écran ; choses mises en exergue aussi par Serge Tisseron et Gamekult. Toutes ces mécaniques sont faites pour récompenser le joueur et le garder devant l’écran en jouant sur différents biais cognitifs. Cela est aussi appliqué par les réseaux sociaux comme Facebook, des sonneries de notifications, à l’interface, tout est fait pour que l’utilisateur ne se déconnecte pas ou ne cesse d’y retourner.
N’oublions pas aussi le phénomène des loot boxes ou coffre à butin en français amenant à des mécaniques de jeux d’argents, se jouant en quelques clics.
Pour expliquer brièvement le concept : un coffre s’offre à vous avec un certain pourcentage (souvent caché) de chance d’obtenir par l’achat du coffre tel ou tel objet. Les états de Belgique, Hawaï et un peu la France se sont alarmés quand ces coffres à butin trop facilement accessibles aux enfants. L’industrie c’est empressée de faire machine arrière sous la pression (notamment de la Belgique qui a légiféré sur le sujet) avec un sigle au dos des jaquettes de jeux (ou lors de leurs achats en ligne) signalant la présence, non pas de coffre à butin, mais d’achats en ligne. Ce qui est bien plus large afin que le droit ne s’y mêle pas. Toutefois c’est une campagne de prévention qu’il faudrait. Ceci n’a tout de même pas empêché les États-Unis et la Belgique de se saisir du problème.
Nous restons aussi plus que de raison sur nos écrans et le jeu vidéo ne se pratique-t-il pas sur un écran ? Alors pourquoi l’isoler de son support ? Du plus petit au plus grand tout comme sur internet ?
Sur la problématique d’internet on parle non pas d’addiction mais de cyberdépendance qui se caractérise par une dépendance au virtuel se traduisant par le besoin de connexion d’une personne. Cette nécessité vient satisfaire un besoin, elle procure un soulagement et possède une fonction. Le temps de connexion s’allonge, devient la principale préoccupation avec des répercutions plus ou moins négatives, on considère qu’une connexion allant au-delà de 40 heures hebdomadaires la personne est dépendante selon Cécile Bonnaire et Isabelle Verascon dans leur article La Cyberdépendance.
La cyberdépendance dispose d’un point commun avec le jeu vidéo excessif qui est celle de redorer, de tenter de réparer une image défaillante de soi ou encore l’isolement. L’autre point commun, le plus évident, est que la cyberdépendance et le jeu vidéo nécessite des écrans.
Sur cette problématique des écrans Serge Tisseron est assez éloquent. Par rapport à la surexposition des enfants, il ne faut pas créer une nouvelle catégorisation pathologique. Il pose la question d’une carence éducative ou 50% des parents reconnaissent se faire distraire par leur téléphone durant un échange avec leur enfant. Sur un autre sondage 36% le consulte durant un repas et 28% quand ils jouent avec leurs enfants.
Pour expliquer cet intérêt des enfants pour les écrans, Tisseron ne s’arrête pas à la caractéristique de l’image colorée qui bouge. Mais sur le fait que les enfants se tournent naturellement vers les yeux et s’ils ne trouvent pas le regard recherché, il y a le risque qu’ils se tournent vers les écrans. En d’autres termes, si il n’y pas d’échanges satisfaisant avec l’enfant, il y a plus de chance qu’il se tourne vers les écrans.
Tisseron dégage deux facteurs jouant un rôle important dans la captation aux écrans :
– L’imitation motrice
– L’attention conjointe où l’enfant tourne son regard et son désir vers ce qui semble accaparer l’intérêt du parent. Il regarde là où l’adulte regarde.
Si l’enfant grandit dans un foyer où la télévision est allumée constamment où s’il ne trouve que trop rarement un visage humain avec lequel interagir, comment ne pourrait-il pas préférer les écrans ? Sur cette problématique, il faut se concentrer sur la situation socio-économique de la famille et son fonctionnement. Il ne faut pas oublier notre propre responsabilité !
Ceci est quelque peu similaire avec le jeu vidéo. C’est l’environnement qu’il faut voir et la responsabilité, dans le cadre d’enfants, des parents. Les parents doivent se tenir informer, d’où en partie cet article.
Conclusion
Que pouvons-nous dire en conclusion ?
Le problème de l’addiction au jeu vidéo est montée en épingle et est une manne à clics et de lectures à sensations au détriment de l’information ainsi que de la santé de ceux se retrouvant stigmatisés. Le terme d’addiction est utilisé à outrance alors qu’il désigne quelque chose de précis.
Il n’y a pas d’addiction au jeu vidéo mais bien un jeu excessif (terme préféré par l’Académie des Sciences), la nuance est importante. La pratique excessive du jeu vidéo s’accompagne d’un mal sous-jacent : dépression, défaillance de l’image de soi, environnement difficile…etc. C’est à cela qu’il faut faire attention car cette pratique excessive est souvent une béquille pour l’individu (bien souvent adolescent) permettant par exemple de se renarcissiser.
Les études sérieuses quant à ce problème manquent cruellement, très peu ont fait preuves de rigueur dans leurs démarches qui ont été confirmatoires. D’autres études sont à mener. Tout en faisant attention à ne pas pathologiser à tort et à travers.
Les parents ont un rôle primordial dans l’utilisation des écrans par les enfants, donc aussi du jeu vidéo. L’autorité parentale et son écoute face aux différents problèmes de l’enfant sont nécessaires. Si eux-mêmes se tournent vers les écrans, l’enfant sera susceptible de le faire aussi.
L’addiction au jeu vidéo est une panique morale répondant à une panique morale sur ce « nouveau » média qu’est le jeu vidéo. Elle ne fait absolument pas consensus chez les scientifiques, en particulier lorsque l’on voit que le rasoir d’Ockman n’a été appliqué.
Si nous devions faire une ouverture, il serait intéressant de voir tout notre contexte social. Celle d’une société allant de plus en plus vite, galvanisant l’esprit de compétition et la consommation par intermédiaire de markéting souvent agressif et quotidien. Se faisant, un augmentation de facteur de vulnérabilité se fait sentir. Les psychologues, dont Jean-Pierre Couteron, ont développé un concept réunissant des critères susceptibles de conduire à des comportements addictifs : la société addictogène.
Nuance et prévention sont de mise ainsi que chercher à comprendre lorsque l’inconnu se présente. Parfois il n’y a d’inconnus que parce que les yeux sont fermés faisant croire à la profonde obscurité de la pièce.
Florentin BEUZE
Sources :
Gamekult – L’addiction au jeu vidéo reconnue comme maladie ? L’ESA s’oppose
Psy et Geek – blog de Yann Leroux – L’addiction aux jeux vidéo n’est PAS (encore) reconnue par l’OMS
L’addiction aux jeux vidéo n’est PAS (encore) reconnue par l’OMS
ICD-11, Gaming Disorder (site en anglais)
https://icd.who.int/browse11/l-m/en#/http%3a%2f%2fid.who.int%2ficd%2fentity%2f1448597234
OMS – Le trouble du jeu vidéo
https://www.who.int/features/qa/gaming-disorder/fr/
OMS – Prise en charge de l’abus de substances psychoactives (Syndrome de dépendance)
https://www.who.int/substance_abuse/terminology/definition1/fr/
Gamekukt – L’addiction au jeu vidéo, une vraie maladie ? Partie 1
Gamekult – Ce qui va changer pour l’addiction au jeu vidéo partie 2
Yann Leroux – Les Jeux vidéo ça rend pas idiot ! – FYP éditions, 2012
Pubmed – Treatments for Internet gaming disorder and Internet addiction : A systematic review
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28921996
Isabelle Verascon – Les addictions comportementales
Scienceshumaine.com – Entretien avec Isabelle Verascon : Qu’est-ce qu’une addiction comportementale ?
Céline Bonnaire et Elizabeth Rossé – Usage problématique des jeux vidéo : deux cas cliniques
Science Direct – L’utilisation addictive des jeux vidéo est-elle une solution adaptative à la perception de soi et à la symptomatologie dépressive des jeunes adolescents (11–14 ans) ?
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0222961714001706
Serge Tisseron – Le piège de l’addiction aux jeux vidéo
Serge Tisseron – Enfants et écrans : ne créons pas une nouvelle catégorie diagnostique qui nous ferait oublier notre responsabilité
Serge Tisseront – Les quatre moyens utilisés par les fabricants de jeux vidéo pour rendre nos enfants dépendants
Gamekult – Comment réussir un free-to-play ?
Isabelle Verascon et Céline Bonnaire – La cyberdépendance
Vincent Lecorre – Un usage ambigu d’internet
Le monde.fr – Entretien avec Yann Leroux : Il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéo
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